La maison hantée d’Upholland en 1905
La maison hantée de Upholland : l’histoire d’un mystère inexpliqué par S.-S. Swithaine (Wide World Magazine. London, février 1905)
Les faits ont été vérifiés et collationnés sur place, en présence des phénomènes extraordinaires qui se sont produits nuitamment et avec persistance dans une vieille maison du village d’Upholland (Lancashire).
Ces faits sont de notoriété publique dans tout le district et le témoignage des personnes qui ont conduit les investigations est au-dessus de toute suspicion. Chacun se formera son opinion.
Des manifestations qui détiennent sans doute le record de l’étrangeté déconcertante et qui continuent à l’heure où écrit l’auteur de ces lignes, viennent d’avoir pour théâtre le petit village abbatial, désuet et datant du vieil âge qu’est Upholland. Il est situé à environ quatre milles de Wigan, la cité charbonnière du Lancashire.
Le village d’Upholland appartient au passé. Les maisons anguleuses et biscornues ont des murs épais comme des murailles de forteresses. Les rues étroites et serpentant ne livreraient pas passage en bien des endroits à un tombereau attelé d’un cheval. On parcourrait en vain toute l’Angleterre pour trouver un cadre plus idéalement approprié aux manifestations mystérieuses qui déroutent depuis longtemps toute une contrée.
La maison hantée est elle-même une des plus anciennes et des plus typiques de l’endroit. C’est un bâtiment en pierre haut de trois étages, qui autrefois devait communiquer avec l’ancienne abbaye. Les murs ont plusieurs pieds d’épaisseur et devant les fenêtres – intérieurement – se trouve un retrait correspondant à l’épaisseur des murs.
La maison est occupée par une veuve, Mme Winstantley, et sa famille composée de trois filles et de quatre garçons adolescents.
La maison domine la vieille église et le cimetière de l’abbaye. Dans ce cimetière, juste au-dessous de la fenêtre de la chambre hantée, se trouve sous un amas de pierres la tombe de Georges Lyon.
George Lyon était un notoire voleur de grands chemins, qui florissait au début du siècle dernier. Ce fut, dit-on, le dernier malfaiteur pendu en Lancashire. Sûrement, jamais maison hantée ne fut mieux située comme cadre, que celle-ci, dominant à la fois la tombe d’un voleur de grand chemin et les ruines d’un ancien monastère où les moines, au temps jadis, travaillèrent, prièrent et moururent.
Les scènes dramatiques ont commencé une nuit de dimanche, au mois d’août dernier. Trois des enfants de Mme Winstantley étaient couchés, lorsqu’ils furent subitement éveillés par des coups violents, frappés dans le mur de la pièce. Comme, encore dans le demi-sommeil, ils demandaient : « Qui est là ? » aucune voix ne leur répondit. Mais les coups continuèrent sans interruption et paraissant être frappés, non pas sur le mur, mais provenir de l’intérieur même de ce mur. Les trois enfants sont saisis d’une indicible terreur. Puis, les rideaux qui masquent le retrait de la fenêtre, utilisé comme porte-manteau, sont violemment arrachés, projetés sur le lit en recouvrant la tête des enfants. Entre temps, les coups s’accentuent et augmentent de violence. Le papier du mur se déchire par larges bandes et des morceaux de plâtre et de ciment volent à travers la chambre, projetés par une force inconnue. Les enfants sont blottis dans leur lit sans oser faire un mouvement. Les pierres du soubassement de la fenêtre tombent avec un bruit sourd sur le plancher. Cette scène ne prend fin qu’avec les premières lueurs de l’aube.
Pendant quelques jours, cette remarquable aventure fut tenue secrète, puis un conseiller municipal (local councillor), M. Baxter, eut vent de la chose. Accompagné de deux hommes de confiance, il va monter la garde dans la chambre hantée, ce qui n’empêche pas l’agent mystérieux de poursuivre son œuvre de démolition. Les nuits se succèdent et les mêmes phénomènes se reproduisent.
Lorsque les faits lui furent rapportés, le conseiller Baxter inclinait à penser qu’avec un peu de flair il arriverait à mettre la main au collet du fantôme. Il se trompait. Avec ses compagnons, il s’installe dans la chambre hantée, assis près du lit des enfants Winstantley. On éteint les lumières et aussitôt la sarabande commence. Le papier se déchire tout seul et le plâtre des murailles vient s’aplatir sur le parquet. Un des enfants Winstantley est pris d’une crise de terreur nerveuse telle que ses deux frères ont toutes les peines du monde à le maintenir dans son lit. Effarés, les deux compagnons du conseiller Baxter s’enfuient en déclarant qu’ils ne resteront pas plus longtemps dans la maison.
Le lendemain, un « policeman » local apporte avec lui une lampe électrique de poche, s’allumant instantanément. Aussitôt que le « constable » tourne le contact et que la lumière paraît, les phénomènes cessent comme par enchantement et tout devient tranquille. La foule qui stationne dans la rue entend nettement les jets de pierres et de plâtras ; mais elle constate qu’elle n’entend plus rien dès que la fenêtre s’éclaire.
Cependant, la situation devient sérieuse ; les rumeurs grossissent en se propageant au sujet de ce qui se passe dans la maison hantée. Tous les soirs, à la tombée de la nuit, une foule immense arrive de tous les alentours. Chaque soir, la multitude augmente, si bien qu’après quelque temps on a dû décupler les forces de police de la localité. Chaque samedi, c’est un véritable exode des pays avoisinants, à des milles à la ronde, et une véritable armée de visiteurs donne des allures de campement au village d’ordinaire si paisible de Upholland.
Finalement, trois conseillers municipaux, MM. Bibby, Baxter et Lornegan, hautement respectables et d’intègre réputation décident de vider la question à tout prix et de monter la garde dans la chambre hantée. Leurs expériences furent faites avec une minutie extrême. On constate d’abord que l’agent destructeur n’opère que dans l’obscurité et lorsqu’un des frères Winstantley est couché dans le lit. Ultérieurement, néanmoins, les phénomènes se produisent à la lueur d’une très faible veilleuse. Patiemment, les trois conseillers passent des nuits dans la chambre hantée, jusqu’à trois heures du matin, munis d’un appareil d’éclairage intensif et immédiat dans le but de découvrir la source des « troubles ». Pendant ces nuits d’investigation, un des frères Winstantley passe la nuit dans la chambre. Ses deux autres compagnons de lit, terrorisés, ne veulent rien entendre. Le conseiller municipal Bibby, homme pratique, depuis longtemps dans les affaires, décrit les coups frappés dans la muraille, comme ressemblant à s’y méprendre aux bruits qu’on entend dans le bureau télégraphique, produits par le contact des appareils transmetteurs. Il est convaincu que les coups ne sont point frappés par une main humaine. Après chaque coup on entend une sorte de sifflement et les plâtras sont projetés dans tous les sens à travers la pièce. Certains de ces débris ont été exposés comme des reliques dans la vitrine d’un commerçant du pays.
Le conseiller Bibby déclare que les pierres sont projetées vers lui de l’angle le plus éloigné de la chambre en décrivant un angle droit, puis, rebroussant chemin, elles filent en diagonale dans la direction de la pièce voisine. Ceci, déclare le conseiller Bibby, est une des circonstances les plus étranges de toute l’affaire et on ne voit pas comment une main humaine pourrait ainsi se jouer des lois naturelles. Mais après une étude approfondie des phénomènes au point de vue psychologique et physiologique, le conseiller laisse la porte ouverte à la supposition de la manifestation d’une loi encore inconnue et inexpliquée. Sans y ajouter de commentaires, le conseiller raconte certains détails de ses expériences. Il tire son canif et essaye de détacher du papier qui tapisse la muraille. Ce papier est si fortement collé et adhérent, qu’il a grand’peine à en détacher la surface d’une pièce d’un shilling. Mais, à peine la lumière est-elle éteinte que le papier se déchire de lui-même par larges lanières, aux endroits mêmes que la lame du canif n’avait pu entamer. Une autre fois, il prend un morceau de ce papier, large comme un « penny », et le place sur une pierre, reposant sur l’entablement de la fenêtre en retrait. Puis il éteint la lumière ; aussitôt les phénomènes se reproduisent, les pierres volent de toutes parts. La lumière est ensuite rallumée. L’entablement de la fenêtre est en partie démoli, la pierre qui y était posée se trouve sur le lit. Le papier, léger comme une plume d’oiseau, se trouve toujours sur la pierre, bien que celle-ci ait été projetée avec une extrême violence au travers de la pièce. Et le conseiller conclut ainsi : « Si, contre toute possibilité, ces choses sont l’œuvre d’un sorcier en chair et en os, je puis dire qu’il ne s’y connaît pas en affaires. L’instinct commercial lui fait défaut. C’était choisir un bien piètre théâtre que le petit village de Upholland, quand Blackpool (synonyme de Barnum) lui eut offert une jolie somme pour faire de ses performances un numéro de programme. »
Le conseiller Lonergan était au début des plus sceptiques, c’est pourquoi il a apporté d’autant plus de conscience et de persévérance dans ses investigations. Il était assis dans la pièce attenant à la chambre hantée lorsque l’entablement de la fenêtre vola en éclats et fut projeté de tous côtés. Le conseiller Lonergan, un homme qui a des propensions religieuses, ne peut se contenir davantage et, pénétrant dans la chambre hantée, il frappe des mains et crie à haute voix : « Au nom du Seigneur, parlez ! » (In the name of the Lord, speak !) Aucune réponse.
Les trois conseillers investigateurs ramassent les débris épars sur le plancher de la chambre, les replacent en les enfonçant profondément dans les alvéoles de l’épaisse muraille. Mais à peine la lumière est-elle éteinte que ces mêmes pierres sont projetées au milieu de la pièce.
La police a multiplié ses patrouilles et ses investigations dans le district. Des habitants dignes de toute confiance ont cherché à pénétrer le mystère sans pouvoir l’éclaircir. Les gens superstitieux déclarent que l’esprit frappeur n’est autre que le fantôme du supplicié George Lyon, venant visiter des lieux qui lui étaient familiers. Lyon, tout en étant voleur de grands chemins, aurait de son vivant habité la maison hantée.
Un « spirite éminent » estime que les manifestations émanent d’un noir esprit qui ne peut se matérialiser.
Des experts en maçonnerie ont été appelés pour examiner la maison et la cheminée. Les murs ont été cimentés à nouveau, mais dès le lendemain ils recommençaient à voler en éclats et les scènes continuent toujours ! Ces phénomènes ont causé dans toute l’Angleterre une immense émotion. La Psychical Research Society (Société des recherches psychiques) vient d’envoyer un de ses membres les plus autorisés, le colonel Taylor, pour procéder sur les lieux mêmes à une minutieuse enquête. R. M.